Raoul Ponchon est un poète. C’est à lui que nous devons le chef d’oeuvre « Quand mon verre est vide, je le plains. Quand mon verre est plein, je le vide » et cet aphorisme qui touche au sublime : “le veau réchauffé est meilleur froid”.

C’est lui également qui est responsable de ce formidable exemple de dévouement à la cause des prisonniers, auquel j’ai un jour fait référence :

 

 

L’expression apporter des oranges à quelqu’un signifie aller visiter cette personne en prison. Alors, pourquoi des oranges et pourquoi cet élan de générosité ?

Eh bien, je vous l’donne en mille : la cause est une femme ! Et une femme dénudée (tiens donc…) confrontée à la moralité d’une époque révolue.

L’excellent site expressio.fr nous conte cette rencontre historique (hystérique?) entre un moraliste, une exhibitionniste et notre poète :

L’histoire commence à cause du sénateur Bérenger qui, à fin du XIXe siècle, fut surnommé le “Père-la-pudeur”, roi de la censure et obsédé par la bonne moralité de ses concitoyens (il était un farouche opposant à l’émancipation des femmes et à leur droit au plaisir).

En 1892, sur dénonciation de ce sénateur trop moraliste, quatre jeunes demoiselles, dont Marie-Florentine Roger, dite Sarah Brown, furent jugées car elles étaient accusées de s’être montrées presque nues dans les rues pendant le défilé du bal des Quat’zarts (élèves de l’école des Beaux-Arts à Paris, à ne pas confondre avec les ‘Gadzarts’, ingénieurs issus des Arts et Métiers).
L’affaire fit grand bruit à l’époque et, en attendant que le verdict tombe, le poète Raoul Ponchon composa ces deux vers :

O! Sarah Brown! Si l’on t’emprisonne, pauvre ange,
Le dimanche, j’irai t’apporter des oranges.

 

Mais pourquoi donc des oranges ?

Certains disent que l’écorce de l’orange évite d’y cacher l’une ou l’autre mauvaise surprise (lime, arme, etc.), bien qu’il doit y avoir moyen d’y injecter de l’alcool à l’aide d’une seringue (je n’ai pas encore essayé). D’autres que les oranges étaient rares et chères à l’époque, ce qui en ferait une marque d’amour pour la jolie Sarah.

Est-ce pour rimer avec ce pauvre ange, ou bien est-ce au contraire Sarah Brown qui est surnommée pauvre ange pour répondre à la rime orange ? Je n’en sais trop rien. Alors, à votre avis ?

Post Scriptum : un petit mot sur les protagonistes

 

On dit bonjour au sénateur

Le sénateur René Bérenger (1830-1915), dit le Père-la-pudeur. Avocat général, il démissionne pour s’engager comme volontaire lorsque la guerre éclate. Décoré de la Légion d’honneur, il devient ministre des Travaux publics puis est admis à l’Académie des sciences morales et politiques.

Son sobriquet de « Père la Pudeur » lui vient de sa campagne pour le respect des bonnes mœurs. Il a notamment proscrit toute pilosité sur les reproductions anatomiques figurant sur les cartes postales, tenta sans succès d’interdire la fabrication de préservatifs et déclara vouloir purifier le théâtre, ce qui lui a valu les foudres des artistes. Il lutta également contre la prostitution, considérée comme « le fléau des foyers ». Défenseur de la cause des enfants, il fait partie de ceux qui ont introduit le concept d’enfants-victimes, avec l’idée qu’il faut intervenir lorsqu’ils sont victimes afin qu’ils ne deviennent pas à l’avenir des enfants-coupables (des délinquants, quoi…) C’est parmi les enfants victimes que l’on retrouve les enfants coupables, c’est en intervenant auprès des enfants victimes que l’on prévient la délinquance juvénile”  (source: http://rhei.revues.org/31 )

J’ai appris également qu’il est à la base d’une réforme de la politique pénale introduisant la libération anticipée sous conditions, le sursis probatoire ainsi qu’une aggravation des peines pour les récidivistes. Il introduit la Société de patronages des jeunes libérés de la Seine (l’ancêtre de nos services d’aide aux détenus).

 

Sarah Brown en Femen

Sarah Brown en Femen

Sarah Brown (1870 – ?) était modèle pour les étudiants des beaux-arts. et pour des artistes-peintres, notamment George-Antoine Rochegrosse (voir peinture de Salomé ci-dessous).

On sait peu de choses sur cette Sarah Brown, juste une photo portant au verso la mention manuscrite suivante :
“Photographie de Sarah Brown au bal des 4z’arts de 1891. Elle ne portait pas de maillot sous ses ornements. Cela fit scandal (sic) et le sénateur Béranger assigna en justice Guillaume, Trouchet et d’autres artistes ce qui amorça l’émeute du quartier latin en 1892 et provoqua la mort d’une nommé Wuger ».

 

 

 

Raoul Ponchon

Raoul Ponchon (1848 – 1937) est un poète prolifique qui célébra la bouteille, la nourriture et les femmes.

Il se considérait comme un petit rimailleur du quotidien, indigne d’une publication officielle. « Je suis un poète de troisième rang, je ne puis admettre que l’on me mette au premier », dit-il à son biographe, Marcel Coulon. Un seul recueil est paru de son vivant (il avait 72 ans), les autres de manière posthume (la Muse au cabaret, la Muse vagabonde, la Muse frondeuse et la Muse gaillarde).

Marcel Coulon dit de lui « Il sait tirer l’étincelle comique du contraste entre la hauteur du ton et la bassesse du sujet. Plus hauteur et bassesse tranchent, plus l’élément comique jaillit.”

 

 

 

 

 

Johnny Hallyday (1943 – …), poète qui a aussi chanté Sarah mais en fait ça n’a rien à voir.

 

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