Hunger [1] nous parle de Bobby Sands, leader de l’IRA incarcéré à la prison de Long Kesh. Il y mourut pour une cause, celle d’être reconnu comme prisonnier politique par le gouvernement britannique. De cet épisode, une image frappa le réalisateur Steve Mc Queen, alors âgé de onze ans : celle d’un corps décharné annoté d’un chiffre, le nombre de jours durant lesquels cet homme avait cessé de manger. Questionnant ses parents, il reçut la réponse : « Cet homme fait une grève de la faim (“hunger strike”) pour être entendu. ». La cause fut entendue pour le jeune homme qui en fit, plusieurs années plus tard, son premier film « peut-être pour essayer de voir ça par lui-même » [2].

 

“Somehow this episode indicates the beginning and the end of my childhood. It was like I started to see the cracks in the wall of my surroundings. The episode destructed me.” [3]

 

– Steve Mc Queen

 

Bobby Sands – Un nom que le réalisateur utilisera pour qualifier ce qui oriente ses films : « donner le sentiment de pouvoir pratiquement prendre du sable (sand) dans les mains et de le frotter entre les paumes » [4]. Avec Sands, on n’est plus très loin du Sandmann, l’Homme au Sable du conte d’Hoffmann dont Freud s’est saisi pour faire état de l’angoisse qui tourne autour des yeux et du regard…

 

L’objet du film : À regard perdu

Si le personnage du film semble au premier abord mettre en jeux l’objet anal – par le refus de la propreté – et l’objet oral – par le refus de s’alimenter –, qu’en est-il de ce fameux objet regard ?

Un film, comme un tableau, sur le versant esthétique, appelle à la contemplation. L’œuvre ferait alors écran à l’objet regard. Mais, dans ce film, quelque chose du regard tente de percer l’écran…

Tout d’abord, dans l’image du mur souillé par les excréments de Bobby Sands. Lorsqu’un gardien vient la nettoyer, la confrontation avec ce tourbillon le fait vaciller. Steve McQueen nous le montre alors commencer le nettoyage par le centre de ce vortex, point invisible et insupportable. Tache qui semble inéliminable.

 

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Dans un second moment fort du film, c’est directement l’angoisse du spectateur qui est requise. Son acmé est l’instant où Michael Fassbender, ayant perdu quatorze kilos pour le tournage, s’érige de tout son long corps cadavérique comme le corps de ces anorexiques au point le plus extrême de leur disparition. Cet instant se répète, sous différents angles, pendant toute la séquence, monstration d’un corps percé de plaies, escarres péniblement bouchées par une pommade.

 

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Prisonnier de la recherche du regard ?

L’objet regard nous apparaît, lors de ces occurrences, perdu, incompréhensible, comme « quelque chose qui se glisse, passe, se transmet, d’étage en étage » [5], toujours quelque peu éludé. Je fais ici l’hypothèse que ce que recherchait Steve McQueen, c’est cet objet regard, surgit de cette image à ses onze ans, vécue comme une fêlure (crack en anglais), comme une perte, la perte de son enfance [6]. Cela l’a amené en prison, mais du côté de la sublimation. Et la reconnaissance de l’autre ne s’est pas fait attendre : il a eu, pour ce premier film, la Caméra d’Or au festival de Cannes… le Regard d’Or ? Ersatz !

 

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[1] Film de Steve McQueen sorti en novembre 2008 avec Michael Fassbender, Liam Cunningham, Stuart Graham

[2] Ibid. (ma traduction)

[3] Interview disponible sur Internet : https://www.europeanfilmacademy.org/Interview-with-Steve-McQueen-director-of-HUNGER.182.0.html

[4] http://www.cahiersducinema.com/Critique-Hunger-de-Steve-McQueen.html

[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1973. p. 85.

[6] Cf. supra