Je me rends chaque semaine en prison pour y animer un atelier de philosophie au Département des mineurs. Aux portes du bâtiment, je laisse ma carte d’identité et mon portable. Je rentre dans le sas de sécurité et me dépouille de ma ferraille, bijoux, etc., pour passer le portique sans qu’il ne sonne. « Bonjour, 376 ! » Je demande mon badge de circulation à l’intérieur des murs. Ma photo est suspendue à un cordon que je mets autour de mon cou. Suit une longue marche sur la dalle usée, mes pas résonnent, mon champ de vision se réduit. Au bout de chaque couloir, un kiosque de surveillance ; j’attends que les barreaux s’ouvrent. Zzz… Clac ! Je fais quelques pas et rebelote,zzz… Clac ! Une véritable scansion. Durant deux heures, je suis enfermée avec les détenus auxquels je m’adresse. Et puis je fais machine arrière, je rends mon badge, je récupère mon identité et me relie au monde.

 

Porte de prison

 
La prison est le réel de mon analyse. Arrivée aux portes de la séance, je me défais de mon identité, de ce qui reste identique, qui colle à ce que je suis et m’y enferme. Je me débarrasse de ce qui sonne, de ce bruit qui empêche d’entendre, de ce qui blesse dans cette ferraille. Je me dénude aussi de la décoration qui cache la souffrance, celle qui me condamne à être à l’intérieur de mes murs, de mes limites. De la même façon que les mots que je prononce parviennent à libérer quelque chose chez ces adolescents enfermés, je me débarrasse progressivement des condamnations qui pèsent sur moi. Chaque fois que je ressors de ces murs en laissant les portes claquer derrière moi, je me sens un peu plus libre.

 

@HavaForEver
Strasbourg

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