Une cinquième semaine de grève débute dans les prisons belges. Face à cette situation, la direction de la prison de Saint-Gilles (Bruxelles) décide de laisser rentrer certains travailleurs des services d’aide externes pour « une permanence de l’urgence ». Nous n’avons pas d’autres mots d’ordre, chaque service s’organise à sa guise.
Je m’engage. Il s’agissait pour moi de me rendre à nouveau visible pour les détenus. J’opte pour un acte de présence sobre : informer les détenus que nous ne pouvons plus remplir nos missions mais que nous reprendrons le travail dès que les grèves prendront fin.
Arrivée à la prison et me dirigeant vers le cellulaire, je m’étonne que personne, parmi les agents, policiers et militaires venus en renfort ne s’inquiète de savoir où je vais.
Seconde surprise : je ne suis pas accompagnée par un agent qui annoncerait ma venue au détenu dans sa cellule. On me fournit seulement une clé permettant d’ouvrir les guichets, ces petites fenêtres nichées dans les portes des cellules et composées d’une vitre en plexiglas et d’un battant en métal. Ce guichet permet aux gardiens de voir ce qui se passe dans les cellules et de communiquer avec le détenu sans devoir ouvrir la porte. Je demande naïvement à un agent comment faire pour annoncer ma venue au détenu… « Vous sonnez ! », rétorque-t-il en riant. Me voyant chercher la sonnette, il rectifie : je dois simplement ouvrir le guichet. Je décide alors de remuer le battant en métal quelques secondes avant de l’ouvrir, pour m’annoncer.
Embarras : je voulais me rendre visible aux détenus et me voilà transformée en voyeuse, le regard plongé dans le peu d’intimité qu’il leur reste. Je voulais humblement faire acte de présence et me voilà catapultée à n’être plus qu’un regard en trop.
Une autre cellule. Un autre homme. Très jeune. Il est seul. Il a calfeutré sa fenêtre de tissus. Peu de lumière passe. Il porte un sweat-shirt à large capuche. Je vois difficilement ses yeux. Il voudrait lire. J’ai justement accès à une caisse de livres, un méli-mélo de titres invraisemblables. J’en prends un et lui apporte. Mais, en manœuvrant laborieusement le guichet, ce dernier me tombe des mains ! Ce guichet qui, dans ce cas précis, faisait office de protection du regard de l’Autre, se retrouve lamentablement à mes pieds. Me voici directement face à ce jeune homme, livré désormais aux regards des passants, l’agent, le militaire, le policier… Le livre ne l’intéresse plus vraiment. Il est inquiet… et moi pas fière. « On va le réparer, Madame ? » « Oui, lui dis-je, c’est ce qu’on m’a dit… »
Là où une institution aveugle aux sujets tourne aux rythmes des crises ordinaires, une clinique orientée par la psychanalyse offre un cadre. Elle ne vacille pas face aux errances des sujets désarrimés.
Intervenante à l’asbl Après et coordinatrice clinique au centre de jour Grandir.