“La chanson du forçat” est au générique de la série télévisée « Vidocq », 1966. Parue sur l’album «  Autres chansons », 1967.

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Qui ne s’est jamais laissé enchaîner
Ne saura jamais ce qu’est la liberté
Moi oui, je le sais Je suis un évadé

Faut-il pour voir un jour un ciel tout bleu
Supporter un ciel noir trois jours sur deux
Je l’ai supporté Je suis un évadé

Faut-il vraiment se laisser emprisonner
Pour connaître le prix de la liberté
Moi je le connais Je suis un évadé

Est-il nécessaire de perdre la vue
Pour espérer des soleils disparus
Je les vois briller
Je suis un évadé

Qui ne s’est jamais laissé enchaîner
Ne saura jamais ce qu’est la liberté
Moi oui je le sais
Je suis un évadé

– L’artiste –

Gros morceau.

Que dire, ou plutôt redire, de l’inénarrable Serge Gainsbourg, et de son goût prononcé pour toutes les sortes de provocations ?

La mythologie du personnage intéresse et fascine. Observer l’amour évident de la langue française, mêlé à une âme glorieusement poétique et étroitement contemporaine des montées de l’antisémitisme, ne suffit pas à déterminer l’artiste, à comprendre ni sa vie ni son oeuvre. Personnellement, j’aime voir en Gainsbourg un cheval sauvage, le poil hérissé et le sabot svelte, les naseaux emplis de poussière soulevée. Qu’on devine tyrannique et exigeant, corbeau blasé et séducteur. Ses thématiques, son projet artistique oscillent avec les années. Cheminent entre les modes et une vision sans doute acide de l’humanité. Musicien et poète amoureux du style en soi, l’ironie, l’insolence ne sont pour autant jamais loin. Ce qui ne l’empêche pas, du reste, de parler d’humanité et d’amour, d’amour et d’humanité… Un artiste reste un artiste, aussi provocateur et mauvais garçon soit-il.

– La chanson –

Quand la légende est plus belle que la réalité, imprime la légende.
(Axel Ganz)

C’est à une commande que répond Monsieur Gainsbourg avec « La chanson du forçat », qui sera le générique du feuilleton « Vidocq » en 1966 :

Mais le thème, à la guitare, n’est pas sorti du pur esprit de l’auteur, qui par ailleurs s’entendait fort bien à détourner et s’approprier – presque toujours ouvertement – les airs d’autres et d’ailleurs. Pour l’exemple, écoutez donc sa « New York USA 1964 » à la suite de la méconnue « Akiwowo » de Babatunde Olatunji…

…ou, plus grand public, « Jane B. » après le prélude n°4 en Mi Mineur de Chopin.

Dans le cas qui nous occupe, c’est un certain Bob Dylan qui lui a ouvert la voie, avec sa chanson « Ballad of Hollis Brown ». Elle-même brillamment réinterprétée (version rock) par Rise Against…

…et, pour l’anecdote, reprise en traduction française par Hughes Aufray himself.

Pour clôturer la parenthèse, je vous laisse avec la version – métal, grosses guitares – du groupe Lofofora (2001) :

 

Le texte, quant à lui, est original. Écrit comme une transe, psalmodié comme une prière, comme toujours très bien écrit, comme toujours sublimant la prose. Rien à dire.

– L’enfermement –

La chanson du forçat n’est pas orpheline. Pour Vidocq, c’est un EP qu’il a signé : quatre titres pour une série à succès. De quoi y voir peut-être un simple opportunisme, une occasion de révéler à ceux qui ne le connaissent pas encore une plume de qualité, un timbre voilé et légèrement nasillard, reconnaissable entre mille.

Mais sur cet EP, j’ai une faiblesse pour la petite dernière. La « chanson du forçat II » parle comme des lignes entre lesquelles on rencontre le véritable auteur. Des calembours, des détournements, des substantivations. Une langue libérée au service de la poésie, dans une chanson qui parle de la prison. Du grand art.

 

 

À dire vrai Je suis
Un faussaire de compagnie
Un preneur de large
Un joueur de courant d’air
Un repris de justesse
Un éternel évadé

Un faiseur de trous
Et un casseur de verrous
Un sauteur de murs
Et un forceur de serrures

Un faiseur de la belle
Et un limeur de barreaux