-Lady Astor : M. Churchill, si j’étais votre femme,
je mettrais du poison dans votre café !

-Churchill : Eh bien moi, si j’étais votre mari,
je le boirais…”

À l’occasion des 48e journées de l’École de la Cause freudienne sur le thème “Gai, gai, marions-nous ! La sexualité et le mariage dans l’expérience analytique”, l’on m’a proposé d’écrire un petit texte sur la question de la toxicomanie (et du partenaire-toxique) en lien avec une œuvre d’art.

Je venais justement de voir le film Phantom Thread réalisé par Paul Thomas Anderson en 2017, avec Daniel Day-Lewis et Vicky Krieps.
Couple et toxique, ça m’a parlé.

Synopsys:

Dans le Londres des années 50, juste après la guerre, le couturier de renom Reynolds Woodcock et sa soeur Cyril règnent sur le monde de la mode anglaise. Ils habillent aussi bien les familles royales que les stars de cinéma, les riches héritières ou le gratin de la haute société avec le style inimitable de la maison Woodcock. Les femmes vont et viennent dans la vie de ce célibataire aussi célèbre qu’endurci, lui servant à la fois de muses et de compagnes jusqu’au jour où la jeune et très déterminée Alma ne les supplante toutes pour y prendre une place centrale. Mais cet amour va bouleverser une routine jusque-là ordonnée et organisée au millimètre près.

Car ce qui fait le tournant du film, c’est bien l’introduction du toxique dans le couple Reynolds/Alma. Jusque-là, tout tourne rond pour le plus grand couturier de l’aristocratie londonienne, tout entouré qu’il est de femmes aux statuts bien réglés : les modèles qui défilent sur les podiums ; les muses qui défilent dans sa vie ; son bras droit de sœur qui les congédie dès qu’elles en viennent à s’affirmer et à briser sa routine de travail ; sa mère défunte qui veille sur lui et lui rend visite en rêves. Le travail est assurément ce qui lui permet de s’épargner les affres du désir : « Je ne peux pas laisser de place au conflit, je n’ai absolument pas de temps à perdre en conflit », assure-t-il.

Mais la venue d’Alma, femme décidée et qui en décidera autrement, introduit un grain de sable dans le rouage : « Je trouve qu’il exagère », maintiendra-t-elle. Une de leurs premières conversations tourne justement autour de la question du mariage : « Vous êtes marié ? – Non, je fais des robes. (…) Je pense que je ne suis pas fait pour me marier, je suis un célibataire endurci, comme on dit. Je suis incurable. Le mariage me rendrait dissimulateur, et je ne voudrais pas de ça… Je crois que ce sont les nombreuses attentes et les espoirs des autres qui causent les peines de cœur. »

Plus tard, mise tyranniquement à l’écart par Reynolds et à deux doigts à peine de la rupture, Alma écrase en poudre des champignons vénéneux qu’elle verse dans son thé. Il tombe malade et, patiemment, elle le soigne. Contre toute attente, ce poison provoquera un double effet bénéfique pour Reynolds. D’une part, le toxique l’arrête alors que la fièvre du travail et la demande de l’autre (les commandes, les défilés, les femmes de sa vie) se font trop brûlantes. D’autre part, le toxique attribue à la femme qui soigne un statut maternel : quand il est malade, elle veille sur lui. Alma le dit très bien: « Vous savez, quand on aime son travail comme lui et qu’on s’y consacre, on a besoin de redescendre… sur terre. Et là, il est comme un enfant, un bébé. Ces jours-là, il est très tendre, ouvert. »

Une fois Reynolds guéri de ce premier empoisonnement, l’effet est immédiat : il demande Alma en mariage ! « Il y a des choses que je dois maintenant faire, et qui me seraient impossible sans toi, pour empêcher mon cœur de pierre de suffoquer… Une maison qui ne change pas est comme morte. Alma, veux-tu m’épouser ? »

Bien entendu, l’état maniaque et méfiant de Reynolds est voué à faire retour. D’où le point d’orgue du film qui coïncide avec sa fin : dans un suspense intense, on assiste à la préparation par Alma d’une omelette empoisonnée, sous le regard insistant de Reynolds. « Je voudrais que tu sois allongé à plat, sans défense, tendre, ouvert, ne pouvant t’en remettre qu’à moi (…) Et ensuite je te remettrai sur pied… », lui dit Alma en le servant. « Je t’aime », lui répond-t-il.

Le ver est dans la pomme, il le sait et il y mord à pleines dents.