Bienvenue dans la Foire Aux Questions !
Vous êtes nombreux à m’envoyer vos questions via le formulaire de contact du blog, suite à mon passage sur Rue89 et sur Twitter. J’y réponds en général par mail, mais comme certaines questions reviennent souvent, il serait dommage de ne pas en faire profiter la communauté…
Je mettrai régulièrement à jour cette rubrique, stay tunned !
Pourquoi ?
Parce que !
Quels sont votre formation et parcours professionnel ?
J’ai un diplôme belge, une « Licence en psychologie clinique » (équivalent aux Masters actuels en 5 ans) à l’Université Libre de Bruxelles. J’ai effectué mes deux stages en psychiatrie à l’hôpital Brugmann: l’Unité76 (centre fermé pour adultes en décompensation psychotique, très branché pharmaco) et l’hôpital de jour (plus orienté relationnel). J’ai rédigé mon mémoire avec le professeur Philippe Fouchet sur la fonction du phénomène épileptique dans la psychose.
Ensuite, j’ai passé un DES (diplôme d’études spécialisées) en « cliniques psychothérapeutiques ». Une formation assez généraliste centrée sur les trois principales formes de thérapie: cognitivo-comportementale, systémique et psychanalytique. J’ai accompli cette année supplémentaire parce que je ne me sentais pas prêt à assumer une pratique professionnelle, j’avais besoin d’un peu de bagage supplémentaire à partir d’une position de stagiaire. J’ai opté pour un stage d’un an au centre médical Enaden, qui propose une prise en charge résidentielle dans un lieu de vie communautaire pour des personnes ayant des problèmes liés à la consommation de drogues, alcool, médicaments, qui ont passé la période de sevrage ou qui reçoivent un traitement de substitution stabilisé (méthadone,…). Après le stage, j’y ai été engagé à deux reprises pour des remplacements de quelques mois.
Après un an de recherches infructueuses, j’ai enfin été engagé dans ce petit service d’aide aux détenus et ex-détenus où je travaille depuis huit ans.
En ce qui concerne la formation, je dirais qu’elle est continue et infinie! Depuis ma sortie de l’université (2004), je suis en formation à la Section Clinique de Bruxelles qui dépend de l’Institut du Champ Freudien (étude de la psychanalyse d’orientation lacanienne). Et j’ai parallèlement suivi une formation de deux ans qui s’appelait « Atelier de Psychanalyse Appliquée » (quelles formes pratiques peut prendre la psychanalyse dans une psychothérapie, dans une institution, etc.)
Donc, je n’ai pas dû entamer une formation spécifique pour le milieu carcéral, j’ai appris sur le terrain lorsque j’ai été engagé (fin 2005). C’est peut-être différent pour les psy engagés par la prison, qui doivent utiliser certains outils (testings, etc.) ou répondre à certaines exigences liées à l’administration carcérale. Je me renseignerai. Je dois dire que je me méfie un peu des formations ou techniques dites « spécialisées », qui ont souvent un effet standardisant sur les praticiens (tout le monde fait pareil et on y perd l’ouverture à la surprise). J’ai plutôt opté pour la psychanalyse car elle propose une théorie de la personnalité et un modèle qui permet d’envisager toute l’étendue de la clinique tout en offrant à chaque praticien la possibilité de partir de son propre questionnement.
Dans quelles prisons travailles-tu ?
Eh bien, je rends visite aux détenus dans les trois prisons que compte Bruxelles. Elles sont toutes proches les unes des autres, c’est pratique…
À gauche, vous voyez la structure en étoile de la prison de Forest. Elle connait un problème grave de surpopulation : l’année passée, elle comptait plus de 730 détenus pour 400 places, ce qui a entraîné de longues grèves des agents pénitentiaires.
C’est une « maison d’arrêt » : les personnes y sont considérées comme « prévenues » de certains faits. Les prévenus (1/3 de la population carcérale générale) sont présumés innocents mais incarcérés le temps d’être jugés s’il y a de fortes présomptions de culpabilité et en cas de danger pour des tiers (les victimes par exemple), de risque de fuite de la personne ou de falsification des preuves. La prison de Forest possède également une annexe psychiatrique (une centaine d’internés sous le régime de la « Défense Sociale »).
Lorsque l’enquête est clôturée, les prévenus se rendent à la prison de St-Gilles (à droite) pour attendre leur procès. Parfois plusieurs mois en fonction de la longueur de l’enquête et de l’arriéré judiciaire. Aux dernières nouvelles, la prison contiendrait près de 800 détenus pour 502 place. Il y a également au sein de la prison un centre médico-chirurgical (CMC) de 26 places.
Les deux prisons sont séparées par l’avenue de la Jonction qui tient son nom d’un sous-terrain permettant le passage des détenus de l’une à l’autre. Après l’enquête dans la prison de Forest et le temps du procès à la prison de St-Gilles (donc deux « maisons d’arrêts »), les détenus peuvent être condamnés à une peine de prison: de “prévenus” ils deviennent « condamnés ». Les condamnés sont transférées dans une « maison de peine » (appelée aussi « prison d’attache ») en Wallonie ou en Flandre pour purger leur peine. Il y a actuellement 32 établissements pénitentiaires en Belgique. À cela s’ajoutent 650 places de détention que la Belgique « loue » au sein de l’établissement pénitentiaire de Tilburg aux Pays-Bas.
Plus petite, vous voyez tout à gauche un structure bétonnée : c’est la prison de Berkendael, prison pour les femmes (une centaine de détenues).
À quoi ressemble la journée-type d’un psychologue en prison ?
Je vais en général le matin en prison. Ma journée commence donc à « l’accès », où je donne ma carte d’identité en échange d’un badge d’identification. J’y remets la liste des détenus qui ont demandé à voir un psychologue (la liste sera envoyée au Centre de la prison, qui gère les allées et venues des détenus). Après avoir laissé mes affaires métalliques et électroniques dans un casier, je peux passer le portique de sécurité. Il y a 7 ou 8 portes, qu’un gardien doit nous ouvrir, avant d’arriver enfin aux parloirs « sociaux ». Les détenus m’y sont envoyés un à un par le Centre. Cela peut mettre énormément de temps, j’attends souvent une vingtaine de minutes et parfois plus d’une heure entre le départ d’un détenu et l’arrivée du suivant. Le temps de lire, écrire, discuter avec les collègues ou préparer mes réponses à vos questions (que j’ai imprimées, car je ne dispose pas d’ordinateur dans les parloirs)!
Les parloirs de la prison de Forest font 3-4m2 et sont composés d’une petite table et de deux chaises (et de boites d’œufs au plafond pour réduire l’écho). Il y a aussi un petit ventilo pour brasser un peu la chaleur en été (les fenêtres aussi sont condamnées). Les conditions d’entretien à la prison de St-Gilles sont pires : une dizaine de tables sont disposées le long d’un grand couloir qui résonne, chaque table étant séparée par un petit plexiglas transparent dont je n’ai toujours pas compris l’utilité. Heureusement, je dispose depuis peu d’un local dans une aile de la prison, c’est mieux pour la confidentialité.
Après-midi : entretiens sur rendez-vous aux bureaux de l’association, à l’extérieur de la prison (détenus en congé pénitentiaire ou bien libérés sous mesure de surveillance électronique ou conditionnelle).
Selon les jours, il faut ajouter les réunions organisationnelles dans mon association (nous sommes une équipe de 9, soit un coordinateur, 6 assistants sociaux, un secrétaire et moi-même) ou avec d’autres associations du secteur. Il y a aussi des réunions cliniques (études de cas), supervisions individuelles ou collectives, formations, etc. Et des activités créatives à l’annexe psychiatrique de la prison de Forest, et avec les droits communs à la prison de Saint-Gilles.
Quelles sont les qualités personnelles nécessaires pour exercer votre métier ?
J’ai été marqué, au début de ma pratique, par ces deux conseils de Lacan (j’ai oublié où il a dit ça, j’offre un verre à qui le retrouve!):
1) Soyez curieux…
Pour le psychologue, contrairement à la maxime, la curiosité n’est pas un vilain défaut!
2) …et ne comprenez pas trop vite!
Lacan répétait « Si vous avez compris, vous avez sûrement tort! » car, pour lui, on ne comprend jamais que ce qu’on sait déjà. Face aux énigmes de la clinique, croire qu’on a compris, c’est risquer d’y mettre notre sens à nous et donc de boucher l’accès à un sens nouveau, inédit. La position clinique n’est pas celle d’un plus de savoir par rapport au « patient », d’un savoir sur lui, sur son symptôme ou sur la manière de conduire sa vie. Il s’agit plutôt, pour le clinicien, d’un manque de savoir qui cause un désir d’apprendre quelque chose de la rencontre avec l’autre. J’ai nommé mon blog École du Crime pour mettre l’accent sur cette position d’apprentissage. Pour accueillir le singulier et permettre au sujet qui vient consulter de trouver, créer lui-même sa propre solution, il est donc essentiel d’être ouvert à la surprise, à l’inattendu. Ce qui implique d’avoir pu prendre quelque distance avec ses propres idéaux, a priori, envies thérapeutiques, idées reçues… mais aussi avec ceux de la société, de l’institution dans laquelle on travaille, et ceux de la psychologie elle-même (des idéaux bien souvent normalisants/moralisants). Ce processus de déprise des idéaux et du sens commun est d’ailleurs un des effets que l’on peut attendre d’une psychanalyse personnelle.
Plus qu’une qualité, je pense donc qu’un bon départ est d’avoir une ou plusieurs questions qui serviront de boussole dans la pratique. Ces questions ne sont pas toujours clairement énoncées au début d’une pratique. Parfois elles surgissent lors d’un stage, se construisent au fil des rencontres avec la clinique. Je dirais qu’il faut au moins un intérêt pour quelque chose qui a trait à l’humain, mais un intérêt qui se situerait au-delà du simple plaisir de partager, d’être ensemble. À cet égard, il y a une citation qui me parle:
On ressent plutôt chez les psychanalystes une proximité, une affinité, une sympathie avec ce qui est exclu ou raté, voire paumé. On trouve chez eux, comme disait Lacan, une marque… celle du rebut. (J.-A. Miller)
Comment établir le contact avec les personnes présentes contre leur volonté ?
Comme lorsque ce professeur nous dit un jour : « quand vous arrivez à votre lieu de travail, laissez votre moi au vestiaire !». Qu’est-ce que le moi ? C’est l’ensemble des identifications qui font notre personnalité, c’est l’image que l’on a de nous-même, tout ce qu’on croit savoir sur nous. C’est l’instance du stade du miroir où l’on attribue à l’autre rien d’autre que ce que l’on perçoit de nous même. Ce qui est particulièrement prégnant dans l’anthropomorphisme et toutes ces études qui visent à montrer que nous sommes comme les singes par exemple. Le risque de projection est bien sur encore plus piégeant avec d’autres êtres humains : on a l’impression de comprendre celui que l’on croit être comme nous. Comme disait Lacan, on ne comprend que ce qu’on sait déjà. En disant également que « le moi est l’instance de la méconnaissance », il signifie que la relation en miroir, à l’autre comme semblable, fait barrage à la rencontre de l’Autre comme différent. C’est pourquoi Lacan a fortement conseillé à ses élève de « ne pas comprendre trop vite ».
Laisser son moi au vestiaire, c’est aussi bien laisser son identification au psychologue au vestiaire (que l’on soit psychologue ou non d’ailleurs, ça peut arriver à tout le monde de se prendre pour un psy). Cela peut être intéressant dans le cas de mesures sous contrainte judiciaire, lorsqu’une personne est obligée d’avoir un suivi psychologique. Je peux vous assurer que, pour des personnes réticentes à rencontrer un psychologue, ne pas se croire psy peut donner des effets d’ouverture dès le premier contact. Monsieur Y., par exemple, devait suivre une « thérapie sous contrainte ». Durant plusieurs mois, Monsieur Y. ne s’est rendu aux rendez-vous que de manière chaotique, en annulant dans le meilleur des cas. Il se plaint de ce suivi sous contrainte et me reproche de l’obliger à parler. Un jour, sur un ton très agressif, il me dit : « Vous servez à rien d’autre qu’à me mettre une épée sur la tête ! [Il risquait à tout moment de se faire réintégrer pour non-respect des conditions] Pour qui est-ce que vous vous prenez, vous ne pouvez rien faire pour moi ! Vous vous rendez pas compte, c’est un monde de requin dehors ! » L’image du requin était particulièrement parlante : il y avait de larges traces de coups de couteau sur ses vêtements et sur le corps. Je lui ai répondu qu’en effet je me rendais compte que je ne pouvais rien pour lui. Mais j’ai précisé que j’étais quelqu’un de très intéressé par ce qu’il vit : « je voudrais apprendre ce qu’est ce « monde de requin » que je ne connais pas ». Il y eu un effet clairement apaisant suite à cette intervention qui introduit un écart avec l’image de psychologue qu’il attendait de moi. Pour ce sujet, quelqu’un qui voulait l’aider, c’était déjà de trop.
Et toujours être prêt à perdre le suivi.
Est-ce qu'un de vos patients a déjà « replongé » après une réinsertion ?
« La guérison vient de surcroit », disait Lacan. C’est dire qu’attendre ou vouloir trop fort la guérison, rémission, non-récidive équivaut à foncer dans le mur (résistances du patient, retour du réel qui insiste). Ne pas trop vouloir la non-récidive (on est pas des flics, hein!), plutôt aider le patient à comprendre -par lui-même, à son rythme- quelque chose de sa vérité, ou en tout cas une manière de faire avec ce qui insiste.
D’autre part, les retours par la case prison ont toujours été des moments féconds : mise à jour de ce qui n’allait pas, constatation que la vie à l’extérieur n’est pas si facile à gérer et qu’il ne suffit pas de vouloir ne pas recommencer.
Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre travail ?
Les surprises! Et j’essaye que chaque rencontre en soit une, car impossible de savoir qui sera en face de vous, ce qu’il va vous dire, comment il va réagir à vos interventions.
Bon, pour pouvoir être surpris, il vaut mieux éviter ce qui peut faire écran, comme les questionnaires et autres tests dont certains psy sont friands.
Qu’est-ce qui vous a motivé dans le choix de votre profession ?
J’ai toujours trouvé les gens « bizarres ». Ce qui n’a pas provoqué chez moi de rejet de l’autre, mais un questionnement qui ne s’est jamais tari sur la manière de fonctionner de l’autre. L’humain me fascine, dans ce qu’il a de plus beau (l’art, l’acte véritable, …) comme dans ce qu’il a de pire (le meurtre, la guerre, ces modes de destruction qui ne se trouvent que dans notre espèce). C’est dans « le pire » comme dans « le beau » que je cherche des réponses à mes questions.
Une citation qui me parle : « On ressent plutôt chez les psychanalystes une proximité, une affinité, une sympathie avec ce qui est exclu ou raté, voire paumé. On trouve chez eux, comme disait Lacan, une marque… celle du rebut. » (JA Miller)
J’aimerais savoir pourquoi un détenu fait appel à un psychologue ? Par conscience ou début de conscience du délit qui l’a amené en prison ?
La première raison de s’adresser à un psy en prison, c’est pour régler un problème -celui-ci peut être lié à ce qui a mené en prison, aux faits et à une prise de conscience, ou à une difficulté liée à la détention. Souvent, c’est la répétition des incarcérations qui suscite ce questionnement : « Pourquoi à chaque fois que je sors je suis persuadé de ne pas récidiver, et là je me retrouve pour la xième fois en prison ? » Pour d’autre, c’est plus un questionnement du type « j’ai eu raison de commettre ce délit, je ne pouvais pas faire autrement… » qui amène à un « mais oui au fait, comment faire autrement ? »
La deuxième partie des demandes qui me sont adressées sont liées à la contrainte : « je vous ai contacté parce que mon avocat a dit qu’on m’imposera un suivi psychologique à ma sortie »… Il n’y a alors à priori pas de demande. J’ai pu constater que parfois les entretiens imposés ont un effet de « symptômatisation » : en reprenant le parcours de la personne, en mettant le doigt sur ce qui se répète, une difficulté ou une souffrance peut apparaître, et donc une prise de conscience et l’envie de changer.
J’ai travaillé durant 12 ans comme psychologue dans un service d’aide aux détenus (prisons bruxelloises de Forest, Saint-Gilles et Berckendael), aux ex-détenus (libération sous conditions, bracelet électronique, congés pénitentiaires, etc.) et à leurs proches.
J’ai créé ce blog pour rendre compte de ce que j’ai appris de ma rencontre avec les prisonniers.