En 1995,  Meutre à Alcatraz montrait déjà comment la prison pouvait transformer un homme ordinaire en meurtrier.

R suit la même logique. R comme Rune, le héros, ou R comme Rashid, le second rôle masculin. Les deux personnages deviennent jumeaux face au destin. S’il est sorti en janvier 2014 en France, il s’agit d’un film danois sorti dans son pays d’origine en 2010, à savoir un an après Un Prophète de Jacques Audiard, thriller de 2h30 qui mettait déjà à nu les rouages de la prison et le parcours d’un détenu ordinaire devenu criminel pour survivre.

Une plongée dans l’univers carcéral

Tuer pour ne pas se faire se faire tuer, le petit bleu lutte dans les deux cas plongé dans l’univers carcéral, peuplé de voyous, de brutes, de meurtriers, de tortionnaires, et ce des deux côtés des barreaux. Tobias Lindholm, à qui l’on doit l’excellent La Chasse avec Mads Mikkelsen, et la passionnante série Borgen, sur le destin d’une femme politique, nous propose dans R une virée cruelle au cœur de la prison. Humiliations quotidiennes, insalubrité, trafics en tous genres, Tobias Lindholm dénonce, tout comme Audiard, les matons corrompus, la nécessité des alliances et mésalliances entre “protégés” et “protecteurs,” et le passage obligé des trafics pour monter en grade.

Seulement, dans Un Prophète, l’ascension de Malik semble ne pas connaître de limites, même s’il se prend de nombreux coups en chemin. Rune, au contraire, accumule les échecs et reste présenté comme une victime. Malik ne se fait pas prendre après son premier meurtre, tandis que Rune, suspect, se fait violenter par un maton avant d’aller au trou. La réalisation sobre mais parfois brouillonne de Lindholm frôle de temps en temps le pathos, contrairement au regard d’Audiard qui évite toute complaisance ou manichéisme.

R a cependant le mérite de montrer l’ignorance des familles au parloir quant à la réalité du monde carcéral : la grand-mère de Rune n’a aucune idée de la violence qui y règne, et la famille de Rashid lui dit de s’en remettre à Dieu, et de ne pas oublier de faire ses prières. L’apparente candeur de Rune est habilement démentie : il demande à sa grand-mère de lui apporter des Kinder au parloir, demande touchante et incongrue qui lui permettra de monter un trafic entre prisonniers. Le jeune homme blond (qui n’est pas sans rappeler, justement, le petit garçon sur les paquets de Kinder) se rase la tête au cœur du film pour mieux se fondre dans la masse.

R: plus désespéré que Un Prophète

La métaphore des oiseaux en cage, au cœur du film, est un peu facile et appuyée, mais résume assez bien le propos. A défaut de combats de coqs ou de chiens, les détenus organisent des courses d’oiseaux. L’un des oiseaux s’envole, quitte sa cage un moment puis, quand il est rattrapé, mord la main qui l’a saisi. De la même manière, l’oiseau Rune devient violent une fois en cage. Le destin de Rashid est la preuve que la prison enferme aussi ses détenus dans un cycle infernal de violence et d’angoisse.

R, c’est l’anonymat, Rune et Rashid incarnent tous les prisonniers. La fin est très représentative de l’impossibilité de la délivrance. Le film se termine sur un acte de violence et un plan fixe sur la prison, vue de l’extérieur, comme un documentaire. Cette fin coup de poing ne fait pas complètement oublier les faiblesses du film au spectateur, mais le hante longtemps. Étonnamment, le film danois s’avère plus désespéré que le film d’Audiard : dans R, la prison, on n’en sort pas.

Affiche du film

 

Cet article a été précédemment publié sur le site de Marla: http://marlasmovies.blogspot.be/2014/06/r-la-prison-de-linterieur.html