“Prisons de femmes” est un morceau de Véronique Pestel tiré de l’album « Canis bulles » (vinyle).
Il s’agit d’un enregistrement live au théâtre de l’Essaion, Paris, 2005, à deux pianos avec Michel Precastelli.

L’écouter

L’album est en rupture de stock, il n’y a pas de lien Youtube ni Dailymotion ni Deezer, MAIS on la trouve sur Myspace, pour ceux qui ont encore un compte. ET sur l’École du Crime, maintenant.
Bref : * Petit bijou rare *


Les paroles

Trop de peines et trop de mots qui ne parlent plus
Trop de peine et trop de temps perdu

Trop de murs et trop de gêne
Trop de portes qu’on referme
Trop de fatigue et de coups tordus

Trop de beauté qui s’abîme
Trop de pensées qui la rident
Jamais assez de bonté
Jamais fini de compter

Le temps qu’il nous reste à faire
Et ce qu’en pensent nos frères
Et la culpabilité
A leur santé

Trop de lèvres qui se pincent
A quoi sert de rester mince
Quand le vide est tout autour
Du puits d’amour

Trop de rêves qui s’émoussent
A quoi sert d’être plus douce
La patience est un état
Qui sert à quoi

Trop de peines et trop de mots qu’il faut boucler
Trop de peine et trop de temps bâclé
Trop de murs et trop de gêne
Trop de portes qu’on referme
Trop de fatigue et de tours de clés

Trop de poitrines qui fondent
Sous la morgue qui les sonde
Jamais assez de fierté
Jamais fini de douter

Pour trois mots qui vous redressent
Qui vous recambrent les fesses
Tout est à recommencer
Recommencer

Recommencer à comprendre
Qu’il va falloir se déprendre
Laisser retomber nos bras
Autour de soi

Et puis faire semblant d’admettre
Qu’on n’a plus ni dieu ni maître
Quand le vide est tout autour
Du puits d’amour

L’artiste

Véronique Pestel est une grande dame de la « vraie chanson française », celle des années yéyé, celle qui mangeait de la poésie au petit déjeuner, de la philo le midi et qui s’endormait entre Aragon, Nougaro et Léo Ferré. L’artiste rassemble tout ce que les puristes adorent : une voix chaude et mélodieuse, un accompagnement sobre au piano, des textes écrits en beau français et, au centre, l’humain. L’humain tout entier, de sa première tendresse à sa dernière bêtise.

Certes il y a de ce petit accent désuet, certes il y a de cette emphase typiquement francophile qui irrite les détracteurs du café-théâtre (et même moi parfois). Mais on est le fruit d’un contexte, et le contexte de Véronique Pestel était bohème et littéraire. On a vu pire…

La chanson

La chanson est douce, a par moments des accents presque gais. Le ton est désabusé. L’attente, omniprésente. Entre la fatigue et les « tours de clé », on s’affaisse, on caresse les heures et la culpabilité. On s’oublie et on néglige sa féminité à dessein : être jolie ne sert à rien. On pense pourtant, à quoi faire, qui regarder, au masculin qui n’est pas là ; et entre tous les trop se glisse finalement l’ombre du manque plus que la souffrance d’être enfermé : Et puis faire semblant d’admettre / Qu’on n’a plus ni dieu ni maître / Quand le vide est tout autour / Du puits d’amour. Freud est passé par là.

L’enfermement

Le thème fascine les artistes, et la prison a été beaucoup chantée… par des hommes. Côté femmes, c’est plus rare : les femmes incarcérées sont tacitement considérées comme les complices d’amants turbulents. La cruauté semble exclue dans l’imaginaire collectif de leur condition. Comme si la violence n’était pas assez féminine. Comme si la femme se laissait facilement « entrainer » là où l’homme enfreint les règles et la loi pour nourrir une ambition plus grande (ou plus folle…) que lui. On peut reprocher à Véronique Pestel une vision romantique et mélancolique de la femme emprisonnée. Une peinture de la prison qui sacrifie le réel des murs et de l’obscurité pour s’attarder aux tourments du coeur. C’est que l’histoire (et la chanson française) oublie(nt) vite les empoisonneuses et les dépeceuses de maris infidèles. Et qu’il reste donc (heureusement) des chansons à écrire.

Véronique Pestel