Psychologue en prison en Belgique, c’est à Alcatraz que j’ai atterri lors d’un voyage durant mon expatriation aux États-­Unis. C’est la visite de l’île et de l’ancienne prison d’Alcatraz qui m’ont poussée à faire le pas de contribuer, Outre-­Atlantique, au blog de Jonathan.

Perrine Panis

Prison d'Alcatraz

La prison d’Alcatraz: visite guidée

La prison d'Alcatraz et le pont de San-Francisco

Alcatraz est l’attraction touristique principale pour toute personne qui foule le sol de San Francisco, Californie. La visite commence par un voyage en bateau d’une dizaine de minutes. Le temps de voir la baie de San Francisco rapetisser et la petite île au large s’imposer clapotis après clapotis,nous voilà arrivés sur la terre ferme, celle de l’île d’Alcatraz qui est l’un des 58 parcs nationaux des États-­Unis.

A l’énonciation du mot Alcatraz, beaucoup d’images et noms surgissent à l’esprit, notamment celui d’Al Capone, célèbre prisonnier de l’île ou encore celui de Nicolas Cage, acteur ayant joué dans le film “The Rock”, tourné sur la célèbre île. Alcatraz est connue pour ses évasions, romancées ou pas, réussies ou pas. Quatorze au total.

Accueillis par un sympathique ranger du parc National, portant un ceinturon drôlement similaire aux trousseaux de clé des gardiens de prison, le groupe de visiteurs écoute avec attention le récit passionné des multiples tentatives d’évasions des détenus d’antan.

alcatraz-clefs

Pour ceux qui ne le savent pas, l’île d’Alcatraz accueillait, à l’époque où son établissement pénitentiaire à sécurité maximale était encore en activité (jusqu’en 1963), les détenus réputés dangereux; ceux qui avaient donné trop de fil à retordre aux prisons où ils avaient été incarcérés précédemment. The Rock (surnom de la prison) était réservé aux irréductibles.

Une autre particularité de l’île est d’être située dans les eaux froides de la baie de San Francisco, et ce à seulement 2,25 km de la ville. Cette situation géographique avait pour conséquence d’offrir aux yeux des détenus une vue imprenable sur San Francisco depuis leur cellule. Cette proximité visuelle couplée à l’impossibilité physique de s’extraire des barreaux avait pour effet d’alourdir le poids de la condamnation, d’après certains témoignages d’époque. Ils avaient l’image, presque le son, mais le tout était inatteignable. Quoique, certains se sont sentis pousser des nageoires et on tenté la traversée à la nage, sans succès. Un seul a réussi la traversée et est allé s’échouer sur la plage du fort militaire ou il a été récupéré par la police militaire. 

La situation climatique de l’île a pour résultat que les eaux de la baie sont non seulement froides toute l’année (12,5° en moyenne) mais aussi traversées par des courants qui déportaient les plus téméraires vers le large plutôt qu’en direction des cables cars de San Francisco. 

La course annuelle “Escape from Alcatraz”

Aujourd’hui, les vestiges de ces traversées à la nage subsistent. Il existe un triathlon nommé “Escape from Alcatraz” qui a lieu chaque année et comprend la traversée de la baie en combinaison de plongée. 

Enfin, et de façon curieuse, parmi les témoignages de gardiens ou d’anciens détenus, la visite de l’île est agrémentée par les  témoignages d’enfants d’Alcatraz. Une poignée d’enfants a grandi sur l’île. Principalement les enfants du personnel qui résidaient là. Ils relatent les récits d’une enfance tranquille malgré la proximité des barreaux. 

Les enfants d'Alcatraz

 

Des barreaux aux oiseaux: the birdman of Alcatraz

Robert Stroud, "the birdman"Al Capone est certainement le prisonnier le plus célèbre de l’île mais ce n’est pas de son récit qu’il va s’agir. Le pauvre, souffrant de la syphilis, y est décrit par les autres détenus comme perdant la tête à Alcatraz (le stade tertiaire de la maladie pouvant entraîner des complications neurologiques). Celui qui nous intéresse est surnommé “l’Homme aux oiseaux”, the Birdman of Alcatraz, Robert Franklin Stroud.

Robert Stroud arrive à Alcatraz en 1942. Mais reprenons d’abord son histoire… Enfant abusé par son père, Stroud fuit Seattle pour l’Alaska où il devient à 18 ans(!) proxénète. En 1909, il ouvre le feu sur un barman qui avait attaqué l’une de ses prostituées, geste qui lui vaut une condamnation de 12 ans de prison pour homicide involontaire. Il est alors enfermé à McNeil Island, prison fédérale située dans l’état de Washington.

Là, il agresse un infirmier qui l’avait dénoncé auprès de l’administration pénitentiaire pour s’être procuré des narcotiques. Il poignardera aussi un autre détenu et sa condamnation sera allongée de 6 mois pour ces faits. Il est ensuite transféré vers l’établissement de Leavenworth, au Kansas. C’est dans cet établissement qu’il poignardera à mort un gardien après qu’on lui ait refusé une visite avec son frère. Des suites de ses comportements imprévisibles et violents, il est placé en isolement permanent. Vous l’aurez compris, il avait une réputation de détenu extrêmement dangereux. Cependant, alors qu’il est emprisonné à vie suite à ce deuxième meurtre (après avoir frôlé la peine de mort), un événement vient modifier le cours de son existence, vouée à l’enfermement. Il passera d’ailleurs 42 de ses 54 années de prison en isolement pénitentiaire. 

"Le prisonnier d'Alcatraz", Burt LancasterLors de la promenade dans la cour de l’établissement, il tombe sur un nid de moineaux blessés qu’il décide de secourir. De cet événement de sauvetage naîtra sa passion pour les oiseaux. En quelques années, il fera l’acquisition d’ une collection de 300 canaris et la prison lui accordera le matériel nécessaire à ses recherches. Il se penchera sur les pathologies aviaires et leur traitement, deviendra un ornithologue respecté et publiera “Diseases of Canaries” en 1933. Confronté à un isolement pénitentiaire extrême, il parviendra à transformer cette incarcération en une expérience inédite. Sa réussite depuis l’intérieur de la prison rendra les membres du personnel furieux, ce qui lui vaudra un transfert vers Alcatraz après qu’on ait découvert qu’en plus de s’intéresser aux oiseaux, il distillait de l’alcool avec ses instruments d’ornithologie.

C’est à Alcatraz qu’il sera diagnostiqué “psychopathe” avec un QI s’élevant à 134. Faisant référence à l’article de Jonathan “Psychopâtes bolo”, nous apprenons avec ironie que d’après la littérature, les psychopathes sont des êtres sans morale et dangereux, dont il faut se méfier. De plus, ils sont suffisamment intelligents que pour s’immiscer dans le monde du travail, ce qui renforce la méfiance à leur égard (cf « Les serpents en costume : les psychopathes au travail » de R.Hare). Si l’on s’en tient à des caractéristiques descriptives, Birdman correspond au diagnostic: il est amoral et dangereux ­avec deux meurtres à son actif dont celui d’un gardien, ainsi que cultivé et intelligent à en croire la réputation d’ornithologue respecté par la communauté scientifique et le niveau de son QI. On pourrait s’arrêter là et se demander quelle position adopter face à un homme comme Stroud. La plus commune idée serait de s’en méfier, c’est probablement que que ce sont dit les gardiens qui ont voulu son transfert vers Alcatraz, ils n’ont pas voulu se faire avoir.

Birdman of Alcatraz, par John LautermilchPourtant, parallèlement, il semblerait que d’autres personnes aient observé Stroud d’un autre œil et aient décidé de lui donner les moyens de devenir ornithologue. Ce n’est pas une métamorphose magique dont il s’agit, cet homme est toujours un meurtrier mais “pas que”. Il est plein de ressources et semble capable de les mettre au service de causes très contrastées (sauver des oiseaux blessés vs tuer un gardien). Il y a très probablement une logique sous-­jacente à ces comportements si opposés, logique qui permettrait de tirer le fil de la succession des événements dans sa vie mais faute d’informations suffisantes sur le cas, je ne suis pas en mesure de le faire. Retenons en tout cas qu’il est plein de ressources et que certains ont décidé de lui donner une chance avant qu’il n’arrive à Alcatraz. 

A son arrivée sur l’île d’Alcatraz il est dépouillé des ses oiseaux et de ses outils. Ce n’est pas suffisant pour l’arrêter. Faute d’un être vivant à étudier, il se penche sur l’étude de l’histoire de son propre environnement: la prison. Il se met alors à écrire un ouvrage sur l’histoire du système pénitentiaire américain depuis les temps coloniaux jusqu’à la formation, dans les années 30, du Bureau des Prisons des Etats-­Unis. Ce manuscrit et le chemin qu’il fera après la mort de Birdman témoignera une fois de plus de l’ambivalence des positions adoptées face à Stroud. De son vivant, Stroud tente de le publier mais le Bureau Fédéral des Prisons l’en interdit. Après la mort de son auteur, le manuscrit est libéré et remis entre les mains de Maître Charles Dudley Martin, l’avocat du Birdman of Alcatraz.

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Malgré les louanges de nombreux éditeurs New-Yorkais à l’égard du manuscrit, aucun d’eux n’accepte de le publier, craignant que les témoignages de gardiens et détenus toujours vivants recueillis par Stroud, ne les exposent à des poursuites judiciaires. C’est finalement en février 2014, 51 ans après la mort de son auteur que “Looking Outward: A Voice From The Grave” est rendu disponible à l’achat sur Amazon Kindle eBooks. Ce tome étant le premier d’une série de quatre.

Alcatraz a pu pousser ceux qui ont tenté d’affronter ses courants à se brûler les ailes, elle ne sera pas parvenue à couper celles de Stroud, même si elle l’a dépouillé de ses chers canaris. Publié post mortem, the Birdman of Alcatraz aura poussé le mythe du rêve américain à son paroxysme “everyone can do it”. Quant à moi, je reprend le bateau vers San Francisco dans une certaine forme de recueillement après avoir passé 4 heures sur l’île, émerveillée par le travail des Parcs Nationaux américains qui ont si bien raconté son histoire, rendu l’atmosphère de sa prison et préservé sa nature. C’est au tour de l’île d’Alcatraz de rapetisser à mesure que le bateau s’en éloigne et m’offre une vue imprenable de la baie de San Francisco rayonnante de soleil.

Baie de San Francisco, prison d'Alcatraz