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Les événements tragiques dont nous avons été les témoins depuis le 7 janvier 2015 sortent de l’ordinaire tant par leur proximité et leur violence que par les intentions plutôt énigmatiques de leurs auteurs. Énigmatiques parce que nous ne cessons d’en parler, et de n’en dire ainsi que des bouts de vérité, qui ont pour principal effet d’insister d’autant plus lourdement sur le hors-sens qui est à l’œuvre dans ces passages à l’acte. Hors-sens dont l’esprit humain affectionne si peu le voisinage qu’il ne cesse d’en nier l’existence avec la persévérance que peut susciter l’insistance douloureusement inflexible du réel.

Dans le fond, que voulaient-ils ? Que veulent-ils ? Et que nous veulent-ils ? La mort de certains d’entre eux laisse la voie libre pour les biographes, les scénaristes et les psychologues de nous les « expliquer », et de faire de ce que nous pensons savoir d’eux tout ce qu’il y aurait à en retenir.

Mais les « survivants » parmi les planificateurs et les exécuteurs ne sont pas moins dérangeants, notamment par leurs déclarations contradictoires, mais aussi par le décalage entre leur image et ce à quoi nous pensons qu’ils aspirent. Notre recherche avide d’un « visage du mal » ne peut être que platement déçue à la vue de ces êtres un peu gauches, au parcours si peu surprenant jusqu’à ces actes insaisissables. Tels les criminels nazis à Nuremberg, ce qu’ils peuvent dire de l’horreur qu’ils ont participé à mettre en acte vient souligner les failles d’une analyse qui ne se fonderait que sur la compréhension raisonnée.

Dans ce contexte, quelles réponses l’institution carcérale tente-t-elle d’apporter ? Je n’ai probablement pas été le seul surpris en apprenant dans quelles conditions étaient emprisonnés les apprentis-martyrs et leurs complices. Moi qui fréquente habituellement les prisons bruxelloises dont les vétustes panoptiques semblent un peu désuets en 2016, je suis tombé des nues face aux explications fournies par les membres de l’Observatoire International des Prisons concernant le « Quartier de Mesures de Sécurité Particulières » de la prison de Bruges.

Il s’agit d’une unité isolée du reste de la prison et située sous la surface du sol, dans laquelle les détenus n’ont droit à aucun contact entre eux, et très peu avec l’extérieur. Les cellules, à double portes et au mobilier intégrés dans les parois, aux fenêtres qui donnent sur un mur de briques, sont conçues pour minimiser au maximum tout risque d’agression. Ce qui minimise du même coup toute une série de dimensions humaines allègrement sacrifiées sur l’autel de l’idéal sécuritaire qui tient ici le haut du pavé.

À cela s’ajoute une surveillance rapprochée des détenus, un éclairage permanent de la cellule jour et nuit, et des fouilles quotidiennes qui rendent bien compte de la dimension paranoïaque érigée en principe de travail : En effet, fouiller chaque jour un espace dont on décide soi-même des objets qui y entrent et qui en sortent, n’est-ce pas en quelque sorte faire du fantasme et de l’imaginaire de chaque agent pénitentiaire le ressort d’une logique de contrôle qui s’autoalimente ? Ici, ce n’est plus le symbolique qui tenterait de rendre compte du réel hors-sens, mais une tentative de combler par l’image l’horreur d’un acte qui résiste à la compréhension.

Malengreau